Mon désir de créer est né du mouvement, celui de mes voyages et celui de la danse. Pour garder une trace de tous mes passages, j’ai choisi la technique du collage que j’enrichis de peinture. Depuis toujours, je glane des fragments hétéroclites faits de papiers de toutes sortes, de sable, de tissus, et autres trésors porteurs de la mémoire des lieux et des rencontres. Je leur redonne vie, les assemble les juxtapose pour tenter de restituer le monde qui m’entoure d’une manière distanciée et poétique. Chaque tableau est un lent travail de reconstitution des objets et des sensations, par la couleur et la texture, à la recherche d’un équilibre harmonieux.
Depuis mes débuts en Turquie il y a plus de 20 ans, j’ai eu l’occasion de participer à des expositions à Ankara, Paris, Le Caire, Londres, aux Etats-Unis notamment avec l’association Caravan qui réunit des artistes venus d’Orient et d’Occident pour promouvoir la paix. L’idée que l’art puisse établir des ponts entre les cultures et apporter une forme d’apaisement est pour moi un réel moteur de création.
Traboules d’ici et d’ailleurs
Ce sont des lieux mystérieux, des passages obscurs, une vie secrète qui se dévoilent sous de faux atours. Revêtue de parures orientales, Lyon se révèle et se dérobe, à demi dissimulée sous la coquetterie baroque d’un masque vénitien.
C’est aussi une porte d’entrée vers les arcanes du vieux Lyon, où s’enroulent et se déroulent des spirales de traboules en de vastes labyrinthes, anamorphoses emportées par la danse tourbillonnante d’un facétieux derviche, entre rêve et réalité.
La création est une naissance, le voyage une renaissance. Des certitudes se perdent, des relations se nouent, de nouvelles perceptions émergent. Sur la trame d’une mémoire magnifiée, les lieux et les rencontres se tissent, s’imbriquent, se combinent en un entrelacs de matière et de couleurs qui se répondent dans un langage universel, rencontre de l’espace et du temps.
Le monde de la soie est un monde magique fait d’itinérances et d’horizons lointains, de rêves de voyages, au départ d’une route mythique vers les pays des tapis volants. L’artiste en a connu certaines escales comme autant d’ancrages temporaires, porteurs d’une mémoire sans cesse enrichie, où s’agrègent les sensations pour faire naître de nouveaux univers. Le mystérieux cheminement des traboules émerge soudain à la lumière d’une cité indienne, où s’accrochent encore quelques fragments de matières et de couleur, glanés dans des vies antérieures sur les marchés de Turquie, d’Egypte ou d’ailleurs.
Emportés dans cet élan, les fragments se mettent en mouvement, les tesselles de perles, de papier et de tissu deviennent mosaïques, une harmonie émerge d’un chaos apparent, un monde imaginaire s’invente au gré des déambulations. Détournées, démontées, retaillées, les photos et les matières perdent leur fonction première, qu’elle soit utilitaire ou refuge de la mémoire, pour ouvrir de nouvelles découvertes, de nouvelles perceptions, et inviter à porter un regard neuf, parfois candide, sur un univers quotidien que l’habitude a dépouillé de sa fantaisie.
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », disait Lavoisier. Par ses matières recyclées, par son regard poétique sur des univers en éternelle transformation, par sa convergence de mondes à la fois proches et éloignés, par son ouverture vers les beautés de l’Orient, le travail d’Anne-Françoise Giraud nous invite à nous plonger dans ces métamorphoses, et laisser jaillir un regard neuf sur de nouvelles éclosions.
Mars 2019 -PG
Les collages narratifs d’Anne-Françoise Giraud
Leur gamme colorée emprunte à l’Orient ses Rose tyrien, Jaune safran ou Jaune soufre, Ocre jaune, Orange orange, Bleu de Lapis-lazuli, Turquoise…
Leur format évoque le tapis, ou le chemin de table. Des carrés, des rectangles, s’agencent. On pense patchwork, mais un patchwork qui transgresserait la logique géométrique du patchwork. Car s’il y a une règle souterraine, elle s’inscrit d’elle-même dans la composition où s’attarde une mémoire transfigurée.
Les collages d’Anne-Françoise Giraud sont narratifs. Et ils réveillent en nous un imaginaire de conte oriental, avec des minarets, des clochers, des rotondités… Porches, arcades, escaliers, traboules, invitent à la promenade, mais les volumes sont trompeurs et les chemins se perdent dans un espace saturé de sensations, de réminiscences furtives, de l’Egypte et de la Turquie où Anne-Françoise vécut de nombreuses années. Des femmes, flammes noires, toujours vues de dos montent un escalier, se dirigent vers une porte où elles vont disparaître… et s’inscrire comme autant de palimpsestes d’un passé jamais complètement recomposé, qui garde son mystère.
Dans l’exploration de cet univers textile, féminin, Anne-Françoise consacre le règne de l’ornement : passementerie, éternité des boites à boutons, des fonds de tiroirs, des bijoux en fin de parcours : galons, festons, dentelles, éclats d’or ou de cuivre, bimbeloterie, fanfreluches, à quoi s’accroche – et se résume parfois – l’histoire des femmes…
Et dans cette sédimentation qu’est l’art du collage elle tire des fils réels ou symboliques et relie tous ces mondes qui s’inscrivent entre trame et chaine.
Et l’on s’attarde dans la contemplation de ces moments de vie, réelle ou imaginaire, où plane comme une invitation au voyage…
Le 14/05/2020
Brigitte David
Journaliste, a travaillé pour des revues d’architecture, d’art, de graphisme et de décoration… L’Architecture d’aujourd’hui, Graphis (USA), etc.